Polanski, Mitterrand : le soliloque du dominant
L’arrestation de Roman Polanski à Zurich, le 26 septembre, et l’exhumation de l’affaire pour laquelle il reste poursuivi par la justice américaine, auront été l’occasion pour un nombre assez effarant de commentateurs – et de commentatrices – de démontrer une fois de plus à quel point leur vision de l’érotisme se passe aisément de cette broutille que représente, à leurs yeux, la réciprocité du désir féminin (on se contente en général de parler de « consentement », mais plaçons la barre un peu plus haut, pour une fois). En témoigne l’expression « veille affaire de mœurs », utilisée dans les premières dépêches ayant suivi l’arrestation, ainsi que dans la pétition du gratin du cinéma mondial lancée en faveur du réalisateur franco-polonais : de nombreuses voix se sont élevées pour faire remarquer à juste titre que, s’agissant de la pénétration et de la sodomie d’une adolescente de 13 ans préalablement soûlée au champagne et shootée au Quaalude, c’était un peu léger.
Partout, les défenseurs du cinéaste soulignent, comme s’il s’agissait de l’argument définitif en sa faveur, que la justice « s’acharne » alors que la victime elle-même, Samantha Geimer, demande le classement de l’affaire : or, elle le demande parce qu’elle ne supporte plus l’exposition médiatique, et peut-être aussi parce qu’elle a été indemnisée ; pas parce que, avec le recul, elle admet que ce n’était pas si grave, ou qu’elle a bien aimé l’expérience, comme on semble le fantasmer…
Dire oui à un homme,
c’est dire oui à tous les hommes
De ses archives, Paris-Match a ressorti un article publié à l’époque, intitulé « Roman Polanski : une lolita de 13 ans a fait de lui un maudit » (la salope !). « La jeune “victime” pervertie n’était pas si innocente », révèle un intertitre. Et la journaliste de préciser : « Samantha G. est une Lolita en T-shirt, à qui des formes bronzées donnent nettement plus que son âge, d’ailleurs plus près de 14 ans que de 13. Elle a reconnu avoir eu, avant sa rencontre avec le metteur en scène, et au moins à deux reprises, des rapports sexuels avec un boy-friend de 17 ans. » Le fait que les relations sexuelles avec un(e) mineur(e) soient prohibées par la loi dans tous les cas devient ici un prétexte pour occulter la différence qui peut exister entre un rapport consenti et un rapport forcé. En résumé : sa non-virginité, à laquelle s’ajoutent ses « formes bronzées » de « Lolita » – elle n’avait qu’à ne pas être aussi bonne ! -, fait d’elle un objet appropriable par qui le souhaite ; dire oui à un homme, c’est dire oui à tous les hommes.
On pourrait penser que, trente-deux ans plus tard, on en a fini avec un mode de pensée aussi archaïque. Mais Le Nouvel Observateur (1er octobre 2009) publie un article d’anthologie, dont le titre – « Une affaire vieille de trente ans – Qui en veut à Roman Polanski ? » – est un poème à lui seul. « La mère, une actrice en mal de rôles, a laissé volontairement sa fille seule avec Polanski, pour une série de photos, y lit-on. Le cinéaste, qui a la réputation d’aimer les jeunes filles, ne résiste pas. » Comme dans le titre de Match, les responsabilités sont inversées : ce n’est pas Samantha Gailey (son nom de jeune fille) qui a été piégée, mais Polanski, dont la « Lolita perverse » et/ou sa mère machiavélique auraient exploité sans pitié les faiblesses bien humaines – décidément, le pauvre homme va de « traquenard » en « traquenard ». Au mieux, si la jeune fille s’estime lésée, elle n’a qu’à s’en prendre à sa mère.
Le grand retour
du « puritanisme américain »
Même Bernard Langlois, dans Politis (8 octobre), valide cet argument : « On peut aussi se poser quelques questions, écrit-il, au sujet de cette Lolita dont les charmes firent déraper le cinéaste, et que personne n’obligeait à se rendre en sa seule compagnie en un appartement désert pour y poser seins nus (c’est elle qui raconte) devant son objectif : l’ingénuité aussi a des limites. » Sans doute ; mais où se situent-elles précisément, ces « limites » de l’« ingénuité » ? Est-ce faire preuve d’« ingénuité » de porter une minijupe ? De se balader seule dans les rues après minuit ?… Au nom de quoi une jeune fille ou une femme qui poserait pour un photographe, même seins nus, est-elle censée avoir signé aussi pour passer à la casserole si elle n’en a pas envie ? Le problème, avec le refus de la loi du plus fort, c’est qu’il exige des positions un peu tranchées : soit il est affirmé, et il interdit les demi-mesures, soit on lui tolère des exceptions, et on voit alors immanquablement des décennies d’acquis féministes, voire simplement progressistes, se barrer en sucette.
Escamoter la question de la réciprocité du désir, c’est aussi ce qui permet de brandir la vieille accusation de « puritanisme » à l’égard de ces coincés du cul d’Américains (« l’Amérique qui fait peur », dit Frédéric Mitterrand). « Au bout de quarante-deux jours, Polanski est relâché en liberté conditionnelle, relatent Philippe Boulet-Gercourt et François Forestier dans Le Nouvel Obs. Il repart travailler. Une photo remet tout en question. Polanski, cigare aux lèvres, s’amuse à la Fête de la Bière en Allemagne. Le juge, irrité, casse le deal. » Ils omettent de préciser que, sur cette photo à la Fête de la Bière, Polanski s’amuse entouré de jeunes filles : on a ainsi l’impression que ce juge est un rabat-joie qui manque terriblement de sens de la fête et n’aime pas que les gens « s’amusent ». Que l’Amérique puritaine veuille la peau de Polanski, c’est bien possible ; mais, dans le cas précis de l’affaire Samantha Gailey, l’argument est hors-sujet. Ce raisonnement nous rappelle celui de la penseuse antiféministe Marcela Iacub et de son collègue Patrice Maniglier lorsqu’ils affirment que, si on pénalise le harcèlement sexuel, c’est parce qu’on n’est « pas à l’aise avec la chose sexuelle » (voir sur ce site « La femme est une personne », 18 octobre 2005).
suite du super article de peripheries.net
Voila des gens qui pensent, qui écrivent bien, et qui mettent les points sur les i.
Heureusement que certaines personnes ont encore un cerveau, des valeurs, et une méthodologie.
Lisez cet article jusqu’au bout, l’auteur remet les pendules à l’heure,il démontre la bassesse morale et intellectuelle de nos journalistes, hommes politiques et artistes, appellant les choses par leur nom et mettant en avant l’essentiel, c’est à dire l’instrumentalisation de la femme et sa soumission de fait aux représentations sexuelles des hommes.